jeudi 29 avril 2010

FLEURS / André DHÔTEL






L'homme nous avait conduits vers un rectangle de terre presque en friche, auprès de sa maison.
Tout d'un coup, il n'y eut plus de brise. Les toiles d'araignée, entre les têtes de carottes, cessèrent de s'enfler comme des voiles chinoises. Les herbes devinrent toutes droites.
Oui, les bluets demeuraient présents et vivement démontrés pendant ces instants d'une vie .
tout cela, c'était le silence profond de nos yeux.

 L'homme remua les mains et aussitôt nous avons vu jouer des lumières. Un simple ouvrier....
Il savait placer ses mains de telle façon qu'il fut possible de contempler des choses invisibles.
Et je sais bien que pour jouer du trombone ou du cornet à piston , il faut déjà toucher des lumières avec ses mains.
 C'était la simple utilisation des distances rituelles.

Le chat connait bien ces distances , et il sait exactement en quel lieu seigneurial il doit suspendre ses regards et ses narines. Nous , dont les gestes sont si variés, nous avons le loisir de pressentir bien d'autres choses.

L'homme nous fit comprendre que les fleurs s'édifient sur des sangs étrangers au nôtre, et sur certains amours sensibles à la douceur des signes immobiles.
L'allégorie des graminées fait résonner l'espace, et personne n'entend rien.
Mais déjà nous entendions.

Le criquet éclatait en sauts qui expliquaient le hasard des intervalles universels, et la guêpe recueillait le chant des abîmes. C'est alors qu'il y eut un cri dans le ciel.
L'espace des plaines s'agrandit soudain. Les villages se dessinèrent violemment au flanc des pentes.

Sur la route, où il restait de la boue, une vieille femme cheminait.
Depuis longtemps ces enfants se sont débandés à l'ouest de l'école. Deux bergers dans les champs se consultent : Le vent ne soufflera peut-être plus jamais.
 On attend d'exceptionnelles minutes, en dehors de tout sentiment de bonheur.

Ce serait comme le début d'une époque. Des rapports se stabilisent.
Le flanc du labour devient radieux.
Au lointain de quelque maison, des étincelles ont jailli du feu; une femme s'est entièrement dévêtue ( cela du moins je l'imagine, puisque le soir venait ),
Que s'est-il passé?

Eh bien, dans ce calme inouï, c'était la venue d'une autre brise , lentement levée du tendre nord.
Les plantes eurent des gestes de robes agitées et jetèrent aux visages des plus petits enfants leurs astres peints.
Lorsque la nuit tomba, nous étions encore ensemble, Martinien, moi-même et l'homme , qui soudain fit un nouveau signe.
Écoute , Martinien, mon fils, dès que tout sera noir, les corolles vont s'envoler pour une région quelconque.
Je ne crois pas qu'elles partiront en Afrique comme les hirondelles .
Peut-être monteront-elles droit dans le ciel .
Ce qui semble sûr c'est que rien dans leur disposition ne se trouvera changé.
Elles ne se mettront pas en files ou en V à la mode des canards ou des grues .

On les verra peut-être flamber quelque part à la hauteur du clocher, dans un village d'ailleurs.
Personne ne saura que ce sont des fleurs vagabondes de notre champ.
Demain, elles reviendront à la même place.
Mais cet inappréciable éclatement des ensembles doit se produire à coup sûr cette nuit-là.
 
L'heure des fables n'est-elle pas venue ?


extrait de  " La chronique fabuleuse"
page 19.
 
ANDRE DHÔTEL,
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2 commentaires:

  1. Trés beau texte pour mon réveil ce jour à 5h et quelle belle musique que celle de Christian Tarroux. Tu enchantes ma journée. Mon coeur est comblé. Merci a bientôt.

    christian

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  2. christian Tarroux : complètement trouvé par hasard , en tapant le mot "lèger" sur deezer... comme quoi!
    j'adore ces rencontres musicales imprévues!

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