Cuisine du Grand hôtel des Glycines : le branle-bas de combat commence . Tous les concurrents sont en train de fignoler la présentation de leur assiette , toute latitude leur a été laissée pour imaginer le plat de leur choix , dans l'une des 3 catégories proposée : Entrée ou poisson / Viande ou volaille et garniture / Dessert ou gourmandise sucrée .
Marie-Jocelyne , complètement échevelée , parsème de fines peluches de cerfeuil la sauce veloutée nappant les médaillons de veau qu'elle propose accompagnés de figues rôties et allumettes de courge fondante.Son assiette , portant le numéro 8 , est aussitôt emportée sur un dressoir à roulettes , coiffée d'une cloche argentée pour le maintien au chaud .
Les autres participants voient également partir leur chef-d'œuvre culinaire avec angoisse et excitation.
Pauline , dans la catégorie dessert , présente tout simplement deux pommes au four , farcies de raisins confits au calvados sur une crème caramel -miroir : des pommes cueillies au vieil arbre de chez ses parents , c'est Franck , son frère , profitant de son jour de congé , qui les lui a apportées , toutes fraiches et croquantes . Franck n'est pas très dégourdi pour ses 20 ans , c'est pour ça que Pauline a accepté de le loger pendant son stage de chauffagiste , normalement , il sera embauché à la fin du mois , ouf!
Attrapant Marie-Jocelyne par le bras , elle file avec les autres vers le vieux salon donnant sur l'arrière-cour de l'hôtel , c'est là qu'ils vont attendre les résultats et se changer . Sur un cintre , sa robe grise de chez Berbérian ,attend sagement .
Côté salle , le public est à son affaire: Le jury , installé à une magnifique table dressée sur l'estrade , a entamé la dégustation des mets : Chacun prélève une petite portion , après avoir jugé de l'aspect , du souci d'originalité et de présentation .Flanqué de deux dames patronnesses , une large et une maigre ,et de l'ineffable et incontournable Jules Massart , Henri Grenu est bien décidé à trouver tout détestable :
La préalable séance de dédicaces a été infernale , il a encore les mâchoires crispées à force de sourires convenus . Il est surtout très déçu de n'avoir pas aperçu une silhouette couleur de fumée . Il aurait pourtant juré que cette petite bonne-femme serait ravie d'une soirée "dans le grand monde" . Assez quelconque à dire vrai , et même un peu enrobée .. mais tellement bien au bon endroit.. Un peu myope , d'accord , mais de jolies jambes ,et puis si drôle ,avec son air choqué face à son numéro bien rôdé de gougnafier ! une vraie bouffée de jouvence .. Henri Grenu relève la tête en mâchouillant distraitement une bouchée de faisan aux pamplemousses safranés , n° 4 , Dans les rangées de têtes en contrebas , il tente de reconnaitre une paire de lunettes rondes et bleues , mais voilà que sa maigre voisine l'apostrophe en chuchotant " Mon cher maître , que pensez-vous du n° 2 , exquis ,n'est-ce-pas? cette alliance du piquant et du musqué , il fallait oser ! Ce dos de marcassin clouté aux cornichons , quelle trouvaille !
- Absolument infect , chère madame ! tout comme les relents de votre parfum que je supporte depuis tout à l'heure , je vous prie de vous écarter légèrement , vous me gâtez l'odorat ."
L'offensée membre du jury se rencogne dans son fauteuil et se tourne vers Jules Massart , qui, fort occupé à goûter aux "bijoux croustillants de cigales de mer" , n° 6 , n'a fort heureusement , rien entendu de cet échange peu gracieux. Henri n' a plus envie de jouer , les fumets de toutes ces nourritures disparates et prétentieuses commencent à lui donner la nausée .
Une accorte serveuse lui apporte pourtant une autre assiette : " n° 7 : " Les Fruits du Paradis perdu" ! , dessert de saison !" . Il a un sursaut d'intérêt , "joli titre de livre ! se dit il , tentons quand même une petite page !" Il porte une cuillère à sa bouche , et soudain , ferme les yeux , submergé par un flux d'émotions contradictoires , d'images très anciennes revenues au galop .. sa langue comme vecteur des saveurs oubliées : la cuisine immense et sombre et le compotier de porcelaine où refroidit la crème renversée prévue pour le dîner .
Il est puni pour avoir dit "Merde et re-Merde ! " à sa grand-mère ,et donc privé de tours de manège sur la place . Ses cousins et cousines sont tous partis en riant dans l'allée ,tous, même Lucie à qui il prête ses livres d'histoires de pirates et qui a les joues si douces ..
Il reprend une autre cuillère .. le caramel onctueux se mêle à l'acidité moelleuse de la pomme .... Il est allongé dans l'herbe , les pommiers du jardin pleuvent leurs pétales odorants sur son visage .. Il rouvre les yeux , deux larmes perlent au bord de ses paupières . Il pose sa cuillère , sa serviette , se lève .
Un brouhaha se fait autour de lui : " Mon cher Grenu , attendez ! nous allons délibérer !"
- Excusez-moi, il fait trop chaud , un léger malaise ! " bredouille-t-il en se dégageant .
Il descend vivement de l'estrade et s'échappe vers le hall d'entrée .Tout au bout du couloir à l'éclairage tamisé , il voit marcher vers lui une jolie robe grise , un badge n° 7 épinglé au premier volant du décolleté .
" Comment! c'est vous! Les pommes ! n° 7 ! ?
-Oui ,oui ... excusez-moi , ce n'est pas très original , les pommes au four .
- Mais c'est divin , au contraire , LA VÉRITABLE SAVEUR DU PLAISIR !! ma chère Pauline ! Vos pommes ! vos deux pommes , sublimes .. parfaites .. "
Il tend les mains , à tâtons , un peu égaré et les pose .. les pose ..
Pauline ouvre la bouche pour protester , mais Henri Grenu lui prend une main , et y dépose les noisettes qu'il garde toujours dans sa poche." Un gage de fidélité d'un vieil enfant perdu!
"Chut! ne dites rien ! Je vous retrouve tout à l'heure , après tout ce cirque !"
Pauline s'éloigne vers la grande salle où le Trophée va être remis .
Henri descend dans le jardin : il fait nuit , la pluie tombe toujours .
Les gouttes serrées dégoulinent dans son cou .
Il se met à rire et rugir en même temps et remonte l'escalier à grandes enjambées:
" Les fruits du paradis! Le paradis !"
La préalable séance de dédicaces a été infernale , il a encore les mâchoires crispées à force de sourires convenus . Il est surtout très déçu de n'avoir pas aperçu une silhouette couleur de fumée . Il aurait pourtant juré que cette petite bonne-femme serait ravie d'une soirée "dans le grand monde" . Assez quelconque à dire vrai , et même un peu enrobée .. mais tellement bien au bon endroit.. Un peu myope , d'accord , mais de jolies jambes ,et puis si drôle ,avec son air choqué face à son numéro bien rôdé de gougnafier ! une vraie bouffée de jouvence .. Henri Grenu relève la tête en mâchouillant distraitement une bouchée de faisan aux pamplemousses safranés , n° 4 , Dans les rangées de têtes en contrebas , il tente de reconnaitre une paire de lunettes rondes et bleues , mais voilà que sa maigre voisine l'apostrophe en chuchotant " Mon cher maître , que pensez-vous du n° 2 , exquis ,n'est-ce-pas? cette alliance du piquant et du musqué , il fallait oser ! Ce dos de marcassin clouté aux cornichons , quelle trouvaille !
- Absolument infect , chère madame ! tout comme les relents de votre parfum que je supporte depuis tout à l'heure , je vous prie de vous écarter légèrement , vous me gâtez l'odorat ."
L'offensée membre du jury se rencogne dans son fauteuil et se tourne vers Jules Massart , qui, fort occupé à goûter aux "bijoux croustillants de cigales de mer" , n° 6 , n'a fort heureusement , rien entendu de cet échange peu gracieux. Henri n' a plus envie de jouer , les fumets de toutes ces nourritures disparates et prétentieuses commencent à lui donner la nausée .
Une accorte serveuse lui apporte pourtant une autre assiette : " n° 7 : " Les Fruits du Paradis perdu" ! , dessert de saison !" . Il a un sursaut d'intérêt , "joli titre de livre ! se dit il , tentons quand même une petite page !" Il porte une cuillère à sa bouche , et soudain , ferme les yeux , submergé par un flux d'émotions contradictoires , d'images très anciennes revenues au galop .. sa langue comme vecteur des saveurs oubliées : la cuisine immense et sombre et le compotier de porcelaine où refroidit la crème renversée prévue pour le dîner .
Il est puni pour avoir dit "Merde et re-Merde ! " à sa grand-mère ,et donc privé de tours de manège sur la place . Ses cousins et cousines sont tous partis en riant dans l'allée ,tous, même Lucie à qui il prête ses livres d'histoires de pirates et qui a les joues si douces ..
Il reprend une autre cuillère .. le caramel onctueux se mêle à l'acidité moelleuse de la pomme .... Il est allongé dans l'herbe , les pommiers du jardin pleuvent leurs pétales odorants sur son visage .. Il rouvre les yeux , deux larmes perlent au bord de ses paupières . Il pose sa cuillère , sa serviette , se lève .
Un brouhaha se fait autour de lui : " Mon cher Grenu , attendez ! nous allons délibérer !"
- Excusez-moi, il fait trop chaud , un léger malaise ! " bredouille-t-il en se dégageant .
Il descend vivement de l'estrade et s'échappe vers le hall d'entrée .Tout au bout du couloir à l'éclairage tamisé , il voit marcher vers lui une jolie robe grise , un badge n° 7 épinglé au premier volant du décolleté .
" Comment! c'est vous! Les pommes ! n° 7 ! ?
-Oui ,oui ... excusez-moi , ce n'est pas très original , les pommes au four .
- Mais c'est divin , au contraire , LA VÉRITABLE SAVEUR DU PLAISIR !! ma chère Pauline ! Vos pommes ! vos deux pommes , sublimes .. parfaites .. "
Il tend les mains , à tâtons , un peu égaré et les pose .. les pose ..
Pauline ouvre la bouche pour protester , mais Henri Grenu lui prend une main , et y dépose les noisettes qu'il garde toujours dans sa poche." Un gage de fidélité d'un vieil enfant perdu!
"Chut! ne dites rien ! Je vous retrouve tout à l'heure , après tout ce cirque !"
Pauline s'éloigne vers la grande salle où le Trophée va être remis .
Henri descend dans le jardin : il fait nuit , la pluie tombe toujours .
Les gouttes serrées dégoulinent dans son cou .
Il se met à rire et rugir en même temps et remonte l'escalier à grandes enjambées:
" Les fruits du paradis! Le paradis !"
FIN
St Montan 12 Septembre 2010
Il nous faudrait beaucoup d'Henri Grenu avec plein de paradis dans la tête!! A la place nous avons...
RépondreSupprimerC.C
Se remettre sous l'Adam un goût de pomme, on en aurait nous aussi besoin...
RépondreSupprimerMagnifique histoire ! Pour moi , grand trophée de la meilleure nouvelle de l'année ! :~)
chers lecteurs! très matinaux vous êtes! Je vous salue bien ! je vais de ce pas couper une pomme et d'autres fruits pour mon petit déjeuner. Très beau dimanche à vous!
RépondreSupprimerCe magnifique temps d'Automne, c'est un vrai paradis!
Voici une histoire enchanteresse, qui donne envie de se mettre aux fourneaux sur le champ !!!
RépondreSupprimerMiel enchanteur, jus sucré sur les lèvres. Et je lis avec d'autant plus de saveur que je viens de poser des pommes par chez moi zossi.
RépondreSupprimerL'automne et ses petits fruits en poche...qu'on polit s'abandonnant. Oui.
Merveilleuse chute ! Cette nouvelle est vraiment un petit chef-d'oeuvre, j'en suis tout zému, tout zébloui, merci chère Croukougnouche, pour ce beau cadeau.
RépondreSupprimerJe rentre d'une journée invitation chez des amis où nous avons festoyé et fait beaucoup de musique , de manière détendue , conviviale , festive et informelle ( guitares , scies musicales , accordéon , un violon merveilleux .. un vrai bonheur auquel se rajoute celui de la lecture de vos commentaires !! merci à vous tous !!
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