Gianfranco était assez content de lui :
Comme d' habitude , son charme et sa roublardise avaient opéré à merveille.
Pourtant , l' affaire était plutôt mal engagée,
Quand il était arrivé dans l' arrière-boutique du vieux bourrelier,
Mattéo Corccioli, ( restaurateur d'un nombre incalculable de sièges vénérables,
Provenant des plus belles demeures de la lagune , et même du Palais de Doges...)
Moretti et son "client" piaffaient d'impatience,
Celui-ci , un joailler-créateur de Genève
Espérait repartir avec la marchandise le soir même.
l' humeur n' étant donc pas aux amabilités à rallonge,
Les négociations commencèrent immédiatement
Autour de la petite table au tapis usé :
Le Comte della Barbosa jouissait d' une telle réputation
( grâce aux légendes et récits de Moretti et autres gredins fortunés)
Que les préliminaires furent brefs:
D' une main ornée d' une pierre sublime ,
Gianfranco répandit sur un morceau de velours bleu-nuit
Une cinquantaine de diamants bruts, sans un mot .
Moretti s' était eclipsé , attendant son "pigeon"
Au bar d' une trattoria voisine...
Le joailler suisse , muni d' une loupe occulaire
En examina quelques uns , les plus gros ,
Faisant la moue :
"Mon cher, pour rendre ces pierres un peu plus civilisées,
Le travail va être énorme , quel prix , déjà?"
Le comte posa devant lui un discret petit carton ..
Le client était coriace , et connaisseur ...
Au bout de longues minutes , les marchandages se faisant
Par cartons interposés ( savoir-vivre oblige !!),
La transaction fut conclue , en cash , bien entendu..
Les pierres ayant réintégré leur coffret métallique,
Enveloppées du velours sombre,
Elles changèrent de main en un clin d' œil,
Après que Gianfranco eut vérifié la liasse contenue
Dans une pochette de cuir fauve ,
Qui disparut aussitôt dans les profondeurs de sa veste d' alpaga.
Les sourires s' esquissèrent sur les lèvres des deux requins,
Ravis l'un et l'autre de l'issue de leur rencontre;
Une poignée de main mit fin à l' entretien ,
Et les deux hommes sortirent en passant dans la boutique de l'artisan
Occupé à clouter le brocart d' un tabouret d'autel.
Mais sitôt la porte à carillon franchie, Gianfranco , vérifiant que son client,
Fouetté par le vent glacé , s' était engouffré dans la trattoria,
Revint sur ses pas et fit tinter de nouveau les pendeloques de verre :
"Cher Mattéo, quel refuge vous nous offrez ! merci encore !
Tenez , pour l'école de stylisme de Fiona , je sais combien vous tenez à son éducation !
-Oh! Signor Barbosa !ce n'est rien ,pour un vieil homme comme moi!
Je suis sourd et aveugle ! vous le savez bien!!"
Gianfranco éclata d' un rire sonore , donna l' accolade au bourrelier ,
Et, ce faisant ,glissa une enveloppe dodue dans la poche de son tablier de cuir..
Après l' effort, le réconfort:
Marchant à grands pas , le comte rejoignit la piazzetta ,
Les pigeons effrontés tourbillonnant autour de lui .
Le campanile de San Marco, et à sa suite tous les autres clochers, se mirent à sonner Midi
Son estomac réclamait pitance :
Un ragoût de veau aux artichauts et citron
Accompagné de quelques tagliatelles al dente..
Voilà de quoi se réchauffer ! se dit il
Avant de pénétrer dans la chaleur feutrée de son restaurant préféré.
Il s' assit confortablement à sa place habituelle , près des larges baies,
Idéal pour suivre des yeux les belles passantes..
Mais en parlant de belle....
Il glissa la main dans l' échancrure de sa chemise grège:
Le petit sac avec ses pierres secrètes ,
Contre sa peau tiède ...
Fausta en avait , durant leurs jeux amoureux,
Usé de fort coquine manière ....
Qui sait s'il reverrait un jour cette amante fugitive ,
Hautaine même dans l' abandon ,
Mais dont l' étrange sensualité lui avait rappelé
Ces magnifiques et cruelles lionnes africaines
Si douces dans l' amour...
L' Afrique !! déjà , il repartait ce soir ,
Pour le Pilanesberg , via Paris où il devrait passer une nuit,
Puis Johannesburg, et un vol local...
Fermant les yeux un instant , épuisé à l' avance
Il se reprit et songea avec un certain plaisir
Aux jours prochains chargés d'inconnu..
Et tout à l' excitation des aventures à venir,
Leva la main pour commander son repas:
Une chose à la fois !!
Ventre vide n'a pas d'oreilles!
Et faim de Barbosa n' attend pas!
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8 juin 2009 / croukougnouche
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