dimanche 23 mai 2010

La boutique des rêves /7



Enveloppé soigneusement dans un papier de soie , le livre semble en tous points semblable à celui découvert chez l'antiquaire . Même reliure, même format .
Théodora a les mains qui tremblent légèrement en déposant l'ouvrage mystérieux sur la table.
Il est 21 heures. Elle se sent un impérieux besoin de réconfort : pourquoi pas une légère collation? le repas de midi est loin , et le fameux thé accompagné de petits fours fut hélas! virtuel !
Un plateau est vite préparé : quelques radis du potager avec du gros sel , une tartine de pain de campagne coiffée de fromage de chèvre et rapidement passée au four , un verre ballon à demi rempli de vin d'Alsace : ne pas se laisser impressionner par cette ambiance digne d'un mauvais roman fantastique.
Tout en croquant un premier radis , elle décroche le téléphone ....
Mais la sonnerie se prolonge , sans réponse.

__________________

Armand s'est approché du poste en entendant l'appel , mais après avoir lu sur l'écran les chiffres du numéro , s'abstient de décrocher .
Avec la nuit, la pièce principale de son appartement , qui fait également office de bureau ,a pris des allures de grotte douillette . Il redescend rapidement au rez de chaussée pour prendre SON livre .
Ce soir est pour lui  l'aboutissement de sa quête : cette femme qu'il connait , apprécie et désire sans se l'avouer  depuis sept ans , il veut enfin savoir si les insondables méandres de son esprit peuvent se mêler aux sinuosités non moins complexes du sien.
  A l'occasion d'un voyage à Vienne , l'hiver dernier ,il a fait l'acquisition , chez un relieur renommé , de deux  albums identiques , fabriqués à partir de matériaux anciens . L'artisan lui a confié que le papier utilisé, datant du 19ème siècle , provenait d'une papeterie installée autrefois dans un moulin au bord de l'Ardèche , réputée pour produire en petites quantités , des feuilles d'une qualité exceptionnelle.
L'expérience de ce soir est absolument improbable , mais , il a tellement lu de récits extraordinaires qu'il a envie  de forcer le destin  . A force de rationalité , l'être humain a perdu nombre de facultés supra-normales  qu'il possédait aux temps anciens , de cela il est persuadé .
Ses théories , jugées fumeuses par la plupart de ses connaissances , ont fait, depuis belle lurette le vide autour de lui , ce dont il s'accommode fort bien .
Mais , au fil des rencontres avec Madame Zayakis , il lui a semblé ,dans ce qu'elle pouvait lui livrer de sa vie passée , de ses goûts littéraires , qu'elle cultivait un jardin secret assez voisin du sien..
SON livre  contient  , à la fin , un portrait volontairement elliptique de la dame de ses pensées, exécuté avec un certain talent par un ami , à partir d'une photo prise lors d'un vernissage , et inséré  par le relieur .
L'AUTRE , envoyé à Théodora  possède un autre portrait , le sien , tout aussi évasif , ce qui est , somme toute , préférable , songe-t-il avec sarcasme , le bonhomme n'étant plus dans la fleur de son âge!
Émergeant de ses pensées , il  s'assoit dans une bergère , face à la fenêtre d'où il peut admirer les lumières de la ville, ainsi que la flèche de la cathédrale.
Il ouvre alors les premières pages , et pose bien à plat  ses deux mains , une sur chaque page .
Fermant les yeux , il rentre en lui-même , laissant ses souvenirs se mêler aux fantaisies de son imaginaire , sa respiration se fait plus calme tandis que les images défilent sous ses paupières .
Les mots du récit chuchotent à ses oreilles ,avec la fluidité d'un ruisseau  et sous la paume de ses mains , le livre dégage une chaleur de bon augure .

Posted by Picasa

9 commentaires:

  1. Lire en l'autre comme dans un livre ouvert, un rêve qu'on a tous au moins une fois caressé. Superbe histoire, toujours aussi finement écrite ! :~)

    RépondreSupprimer
  2. Pas d'accord avec Tant-Bourrin, surtout conserver précieusement la part de mystère qui est en chacun de nous. Par contre fusionner parfois, oui, c'est la rareté de ces moments qui en fait la valeur.
    J'avais imaginé que l'antiquaire, plus noir qu'il ne l'est, s'introduirait grâce au livre, dans les rêves et les pensées secrètes de sa victime, et irait peut-être jusqu'à lui voler son âme. Tu t'orientes vers une issue moins sinistre, j'en suis fort aise. Mais reconnais qu'il est bien tordu ou alors d'une timidité maladive ; bon maintenant, on piaffe d'impatience : LA SUITE, LA SUITE !

    RépondreSupprimer
  3. D'accord avec Mingingi des prairies !

    RépondreSupprimer
  4. bonjour les lecteurs du Dimanche!!!
    je vous salue et vous remercie de votre fidélité !
    je file à une fête d'anniversaire !!
    à ce soir , certainement!

    RépondreSupprimer
  5. Armand et Theodora, deux faces d'une même personne ?
    L'un qui y croit, l'autre qui s'y adonne.

    RépondreSupprimer
  6. Nous nous orientons vers une méditation livresque. Jan Petrus égaré sur le port d'Aden égrène un chapelet et récite avec maladresse quelques sourates du Coran. Bientôt s'embarquer sur un caboteur aux flancs rafistolés.Ce livre est une énigme.Il ne se souvient plus.Il voisinait avec le Titan? Ou dans ce quartier un peu crad avec ce conte Satyrique? Une corne de brume le tire soudain de sa réflexion.

    RépondreSupprimer
  7. Ce livre est une fleur mystérieuse aux senteurs enivrantes.
    Elle fait tourner la tête et chavirer les coeurs.
    Un grand magicien cet antiquaire.

    RépondreSupprimer
  8. j'aime cette histoire,
    comme elle est.....
    J'ATTENDS JUSTE LA SUITE
    QUEL SUSPENS ;;;;
    bisoussssssssss

    RépondreSupprimer

Une petite trace de votre passage...Merci pour vos visites !