jeudi 11 mars 2010

CINEMA-POISSONNERIE / 2



En levant les yeux, j'essaie de retrouver trace du fronton au dessus des fenêtres à petits rideaux qui ont pris place dans les renfoncements où s'ouvraient jadis  les deux hautes portes battantes de l'EDEN - CINÉMA.
  A droite, la devanture de DELBAUX-POISSONNERIE a été murée et percée d'une jolie porte en bois verni.
Mais tout cela ne faisait qu'UN:
un MONDE, un ROYAUME ,
celui du CINEMA-POISSONNERIE- DELBAUX !!
  Seul le portail du jardin n'a guère changé , assez large pour laisser passer le camion de Monsieur Delbaux quand il revenait de Boulogne sur Mer avec ses caisses de poissons et crustacés . Il a juste été remis à neuf, et sur le pilier à droite , on aperçoit un interphone.
  La vieille maison à étage, en briques rouges un peu passées est restée la même, avec son joli balcon en bois peint et la pente du toit faisant comme un auvent . C'est là qu'habitait Francine, la fille du poissonnier. 
On se parlait durant les trajets en car , pour aller au lycée, et on se voyait au cinéma, mais jamais je ne suis entrée chez elle.  Sa mère ne se montrait pas beaucoup au magasin, pas plus au cinéma .
 Au moment des fêtes, elle aidait parfois son mari à servir les huitres, mais on sentait bien qu'elle n'aimait pas ça .....
     C'est qu'elle était un peu précieuse, la Marie-Pierre,
elle avait grandi au milieu des porcelaines et des verres à pied, au dessus de la quincaillerie " Tout pour la ménagère" de ses parents.
Quand elle avait rencontré Maurice, au bal des pompiers de St Martin, il avait une petite moustache à la Clark Gable et dansait la valse à l'envers comme personne.
Lui, il était natif de St Sauveur et avait attrapé le virus de la toile très jeune : son père était le tenancier du café de la poste "buvette et casse-croute à toute heure", qui était surtout la seule salle - cinéma de village à la ronde : dans une ambiance enfumée, le public s'entassait sur les bancs de bois pour voir les films de FERNANDEL et Maurice avait mis la main aux bobines dès ses 15 ans .
  Plus tard, grâce aux économies paternelles, il avait pu réaliser son rêve en arrivant à Bélazy St Pierre dans les années 50 : une vraie salle comme à la ville, sièges rabattables en simili rembourré, grands panneaux pour les affiches et un projecteur d'occasion, mais complètemenr révisé, comme neuf , acheté à Paris par un collègue , écailler aux Halles .. Et le summum: le rideau de velours rouge coulissant...
   Mais la poissonnerie c'était la sécurité, parce-que le ciné, c'était bien joli, mais les parents de la Marie-Pierre avaient posé leurs conditions  : Pas de commerce sérieux, pas de mariage!
Alors , Maurice avait cédé et fait d'une pierre deux coups : Cinéma ET Poissonnerie. Mais une fois la valse à l'envers envolée au fil des ans, Marie-Pierre était de plus en plus rebutée par les odeurs fortes de marée et très indisposée par les rassemblements de jeunes "loulous" à mobylettes devant la salle du cinéma chaque fin de semaine . Elle préférait soigner les fleurs de son jardin et occupait ses soirées à broder de ravissants mouchoirs et napperons qu'elle mettait en vente au profit des bonnes oeuvres, au stand "Lingerie" de la kermesse de la paroisse. Elle s'y montrait enfin, dans toute sa splendeur, au côté des épouses des notables de Bélazy qu'elle appelait par leurs prénoms.

La fille Delbaux, Francine, je l'admire, je l'envie, mais elle me fait un peu peur.
Plus âgée que moi, à 14 ans , elle porte déjà des collants-mousse fins, sous sa jupe écossaise grise et rouge .
Elle n'est pas farouche, elle rigole avec les garçons, dans le car et pendant les entractes des soirées cinéma .
  Sa mère a beau faire, il n'y a pas moyen de la garder à la maison : toujours la patte en l'air, à faire l'ouvreuse, tout çà pour reluquer les fils Varoux qui arrivent à deux sur leur moto trafiquée, raie sur le côté et blousons trop courts .

 
Posted by Picasa

6 commentaires:

  1. Oh, ces poissons, ces poissons, qu'est-ce qu'ils sont chouettes !! C'est vrai qu'on est en Mars >CD°>

    Et cette histoire 8-O ! Elle est prenante, on s'y croirait, dans ces petites villes où un petit écart vous fait cataloguer à vie. Là où on va en vacances, il y a encore un vieux cinéma/licence IV avec le rideau rouge !

    RépondreSupprimer
  2. Un cinéma-poissonnerie ??? Quelle idée géniale ! On pourrait y regarder "Océan" en odorama ! :~)

    Très prenante, ton histoire, comme d'hab' !

    RépondreSupprimer
  3. Ici on a une Boucherie café concert !
    Ah les motards qui roulent des hanches devant l'cinoche !

    RépondreSupprimer
  4. Magnifique billet M'Dame !

    Mon cinoche s'appelait : le moulin rouge, ce fut l'objet de mon premier billet !

    http://blogborygmes.free.fr/blog/index.php/2007/10/30/853-le-moulin-rouge

    Il n'y avait pas moins de sept cinoches à Drancy en ce temps là, aujourd'hui : plus un seul !

    RépondreSupprimer
  5. Pas possible de dire " Arrête!"

    RépondreSupprimer
  6. Epamin' quelle répartie!!!
    j'adaur-ade !!

    RépondreSupprimer

Une petite trace de votre passage...Merci pour vos visites !