Nous sommes à 5 mn à pied de l'EDEN, mais , vu que ma grand-mère connait tout le monde, je crains le pire, à savoir, des conversations à rallonge, surtout avec le maréchal-ferrant, Monsieur Dupressoir (il y a encore de nombreux chevaux de trait dans les fermes de Belazy) , juste après la boulangerie.
Elle bricole beaucoup , ma grand-mère, et elle a justement des conseils à demander par rapport aux clapiers qu'elle est en train de monter pour sa nouvelle maison près de la forêt où elle espère emménager au Printemps. Elle ne peut pas souder les cadres et elle aimerait bien que Monsieur Dupressoir le fasse pour elle en échange d'un gros plat de gratin dauphinois....
Mais , jour de chance! Aucune trace de Monsieur Dupressoir dans sa cour pleine de trucs rouillés, et nous arrivons bien à l'heure à l' EDEN.
Les portes à hublots sont grandes ouvertes. Dans le hall il y a déjà pas mal de monde : des parents avec enfants bien peignés, des plus grands qui se poussent du coude et se racontent des bêtises en nous regardant en coin. Je leur tourne le dos et me régale en détaillant les photos accrochées sous verre qui ornent les murs pâlichons . La porte de communication avec la poissonnerie est fermée .
Céline tient toujours la main de ma grand-mère , en grande discussion avec Monsieur Delbaux qui a troqué son vieux tablier" qui sent " contre un pull en v gris, très chic. Dans son genre, c'est un bel homme , grand et mince, avec un visage très mobile et expressif . Il détache les trois tickets en souriant et nous pouvons entrer dans la salle: elle est un peu en pente, la pénombre est éclairée par des appliques en verre granité fixées sur les murs latéraux tendus de reps beige .
Nous nous installons pas trop loin , bien au milieu . Les sièges claquent, le rembourrage est plutôt cabossé et nous avons apporté chacune un gros gilet en plus, à glisser sous nos fesses pour y voir mieux.
Le dos des sièges de devant sont pleins de traces de mégots et il y a même un vieux chewing-gum collé.
Pour le moment, le rideau rouge est tiré . A droite , une porte donne dans la cour , derrière la poissonnerie .
En face de la maison de Monsieur Delbaux, sur le côté du mur du jardin, il y a les toilettes , mais nous, on a pris nos précaution avant de partir.
Bon, chut ! le film va commencer . En me retournant, j' aperçois le haut du crâne de Monsieur Delbaux par la petite lucarne .
Brusquement, le son éclate dans les hauts parleurs, et l'image envahit brutalement l'écran : d'abord les actualités, les réclames et les bandes annonces pour les autres films . Une petite pause pendant laquelle Monsieur Delbaux revient avec son présentoir en bandoulière, paquets de bonbons et esquimaux : ma grand-mère achète des caramels au chocolat . La lumière s'éteint et l'histoire commence....
Le fils du Roi de Scandinavie , Vaillant,est obligé de s'enfuir, détrôné par un usurpateur, ( il est très beau , Vaillant , avec ses cheveux noirs ) , heureusement , le voilà chez le roi Arthur, qui le nomme écuyer , il doit escorter la princesse Ilène jusque chez son père....
Mais soudain, dans la salle fusent des pétards, jetés sans doute par les garnements du premier rang : ma sœur se met à hurler , ma grand-mère se lève en maugréant et se dirige vers la sortie , trainant Céline toujours en pleurs . Monsieur Delbaux, une lampe torche à la main , fait irruption dans la salle , mais les coupables de tiennent sur leurs gardes.
Ma grand-mère me fait signe et je suis bien obligée de la suivre , je suis furieuse de ne pas voir le film en entier. Je compense le lendemain , en m'offrant au camion-bazar du marché, une longue épée en plastique gris au pommeau doré . J'ai déjà divers accessoires : pistolet à amorces , chapeau de cow-boy et ceinturon en faux cuir .
Ma sœur est de bonne composition, je lui fais jouer la femme du shérif ou la prisonnière du désert : elle est d'accord et puis de toutes façons , elle n'a pas le choix, n'oubliez pas que je suis l'ainée .
Le seul problème est que tous mes héros préférés ont les cheveux courts, pas moi .
A force de lamentations mielleuses , je réussis à obtenir d'aller chez Monique, la coiffeuse qui a son salon de l'autre côté de la place .
Et hop! les mèches rousses tombent sur le carrelage noir et blanc . Dans la glace, ma frange n'est pas très droite , mais je ressemble un peu au page du roi Arthur , au début de "Prince Vaillant" , je me trouve très à mon goût!
Fichtre, heureusement que ce n'était pas un film avec Yul Brynner dans le rôle principal ! :~)
RépondreSupprimerles "dix commandements " je l'ai vu plus tard , dans un autre ciné , à la ville.. et là, le mimétisme capillaire n'était plus de mise ..
RépondreSupprimerBon je reviens lire les deux derniers épizodes.
RépondreSupprimerTu me fais remonter les souvenirs, oui des chewing gum collés et des chahuteries et pires !!